Méconnue il y a encore quelques années, car rare et concentrée dans le midi de la France, la leishmaniose s’intensifie tandis que son périmètre s’élargit. Une maladie qui n’est pas sans inquiéter les vétérinaires et le corps médical.

Mise en évidence dès 1903 par le docteur écossais William Boog Leishman, la leishmaniose est une infection parasitaire transmissible de l’animal à l’homme et vice versa. Due à un parasite microscopique appelé Leishmania infantum, cette maladie à transmission vectorielle, se propage par la piqûre d’un diptère connu sous le nom de mouche des sables ou phlébotome. Parmi près de 1000 espèces de phlébotomes recensées sur la planète, environ 80 sont vectrices de la leishmaniose. En France, seules deux variétés sont susceptibles de répandre le mal : Phlebotomus perniciosus est une espèce dont la répartition géographique s’étend du Portugal à l’ouest, jusqu’à la Crète et la Turquie à l’est. La seconde, Phlebotomus ariasi n’est quant à elle rencontrée que dans la partie occidentale du bassin méditerranéen (péninsule ibérique et France). Insecte de très petite taille (2 à 3 mm), au corps jaunâtre et doté de gros yeux noirs, le phlébotome ressemble à s’y méprendre à un petit moucheron. Si d’ordinaire la saison d’activité s’étale de mai à septembre, elle peut toutefois connaître des variations non négligeables en fonction des conditions météorologiques. Certaines années, on a pu ainsi observer les premiers sujets dès le mois de mars, tandis que les derniers étaient signalés fin novembre. De la même façon, si la leishmaniose sévit en Europe de façon endémique sur le pourtour méditerranéen, la maladie semble désormais s’intensifier dans les régions du sud, et s’étendre peu à peu vers le nord et l’ouest de l’Hexagone (voir carte). Sans doute s’agit-il là d’une conséquence du réchauffement climatique. Côté habitat le dangereux diptère peuple tout aussi bien les zones rurales, que les parcs et jardins des agglomérations. On le trouve généralement dans les zones humides particulièrement riches en matières organiques. Chênaies et hêtraies de faible et moyenne altitude (100 à 500 mètres) semblent ainsi tout particulièrement attirer ce petit moustique. Préférant se mettre à l’abri de la lumière et du vent, les adultes se réfugient pendant la journée soit dans des endroits retirés et sombres (interstices des vieux murs, étables, niches, terriers, voire dans de rares cas dans les maisons), soit dans des lieux présentant un fort taux d’humidité (ruisseaux, puits, fontaines). De mœurs quasi nocturnes, c’est donc en toute fin d’après-midi et au crépuscule que le phlébotome devient particulièrement actif. Le vol silencieux de ce moucheron rend sa présence presque indétectable, et son attaque n’en est que plus pernicieuse. L’hiver, il disparaît laissant pour seule trace la présence de larves dans le sol. Mais les chiens contaminés deviennent réservoirs de la maladie, permettant à la leishmaniose de réapparaître à chaque printemps. A l’instar du moustique, seule la femelle est hématophage. Très attirée par l’espèce canine, elle pique généralement à plusieurs reprises au niveau du museau et de la face interne de l’oreille du chien. Le sang chaud aspiré lui permet ensuite d’assurer son développement et de pondre. Lors de ce repas sanguin, le phlébotome ingurgite un certain nombre de leishmanies (parasites) qui ne vont cesser de se multiplier dans son tube digestif avant de remonter au niveau des pièces buccales. Il faut environ deux semaines, après un repas contaminé, pour que l’insecte vecteur puisse à son tour infecter un chien sain. Lorsqu’un phlébotome parasité pique le chien, il dépose une importante quantité de leishmanies dans la peau, qui sont ensuite absorbées par les cellules immunitaires. Le système défensif du chien peut alors réagir de deux façons. Soit l’organisme est capable de lutter contre le parasite et le tuer avant qu’il ne colonise l’animal ; on parle alors de réaction efficace. Soit il laisse passer le parasite qui se multiplie rapidement dans les macrophages avant d’envahir le corps du chien, et d’attaquer ses organes internes (réaction inefficace). Problème majeur, la leishmaniose est une maladie évolutive à progression lente. Trois mois au minimum, mais aussi plusieurs années, peuvent en effet séparer la contamination de l’apparition des premiers symptômes. On peut ainsi ne plus percevoir le lien de causalité direct avec, par exemple, un déplacement antérieur dans une région infestée. Les signes cliniques de la maladie sont divers et variés. Les premiers symptômes observés sont généralement d’ordre cutané : lésions de la peau au niveau du museau, des oreilles ou encore chute des poils autour des yeux. Plus occasionnellement, le parasite peut engendrer une kérato-conjonctivite se manifestant par un œil rouge avec des écoulements. Le chien subit ensuite un amaigrissement progressif et une fonte musculaire, même si dans un premier temps son appétit semble rester tout à fait normal. Pris séparément ces symptômes ne sont pas caractéristiques de la leishmaniose, mais l’association de plusieurs d’entre eux permet en général de diagnostiquer la maladie. A un stade plus avancé, des escarres apparaissent sur les parties du corps en contact avec le sol, les ongles deviennent très longs, tandis que le volume des organes atteints (foie, rate) augmente de façon considérable, avec une détérioration de la fonction rénale. Il est souvent trop tard, la mort du chien devenant inéluctable. En cas de suspicion, un test par bandelette chromatique permet d’effectuer rapidement, avec quasi certitude, un premier diagnostic. Cependant, seule une prise de sang donnera une idée plus précise de l’avancement de la maladie. Prise à ses débuts la leishmaniose peut alors être soignée soit par des préparations injectables à base d’antimoine (Glucantime®), soit par voie orale sous forme d’allopurinol, pour ne citer que les traitements principaux. Ce sont des protocoles lourds, contraignants et onéreux, qui de surcroît ne sont pas dénués d’effets secondaires sur les fonctions hépatiques et rénales. Le pronostic à l’aide de ces thérapeutiques dépend de plusieurs facteurs : l’âge de l’individu, l’état de ses reins, son anémie, ou encore l’ancienneté ou la récidive de la maladie. Quoiqu’il en soit les traitements évoqués, même s’ils donnent d’excellents résultats, visent avant tout à faire régresser les signes cliniques et ralentir la progression. Ils ne peuvent en revanche jamais guérir de façon définitive le sujet, ni empêcher une éventuelle rechute. Le chien infecté restera à vie porteur du parasite.
Compte-tenu de la gravité de cette parasitose, mais aussi des difficultés à l’endiguer, il s’avère donc impératif d’avoir recours à certaines mesures de prévention. Comment protéger nos auxiliaires qui, au long des billebaudes de début d’automne, se trouvent selon les régions concernées, plus ou moins exposés au risque de piqûre par phlébotome ? Côté prophylaxie, l’arsenal vaccination était, il y a encore peu de temps, totalement inexistant. Fruit d’une vingtaine années de recherches intensives, le laboratoire Virbac a proposé récemment (fin 2011) un vaccin du nom de Canilesh® offrant une relative garantie. Si celui-ci ne protège pas à 100% le chien, il est toutefois scientifiquement démontré que les chances de produire une réaction immunitaire efficace sont multipliées par quatre. La primovaccination peut être effectuée dès l’âge de 6 mois, et consiste en trois injections à intervalle régulier de trois semaines. L’immunité n’est confirmée que quatre semaines après la dernière inoculation. Notons enfin que ce vaccin requiert un test de dépistage préalable afin de déterminer si le chien est porteur ou non du parasite. Car on ne peut en tout état de cause vacciner un animal séropositif. A l’instar de nombreux vaccins, Canilesh® nécessite bien entendu un rappel annuel. Malgré la partielle efficacité de ce protocole, et son coût assez élevé, il reste néanmoins préférable que votre animal soit potentiellement protégé que pas du tout. Cette prophylaxie est donc désormais conseillée et prescrite par la plupart des praticiens vétérinaires officiant dans des zones à risque. Une solution complémentaire, passe par l’utilisation d’antiparasitaires dits externes. On dénombre aujourd’hui deux types de produits présentant chacun des caractéristiques différentes. Tout d’abord, les colliers insecticides qui selon les marques ont une efficacité moyenne à bonne. Faits de caoutchouc et imprégnés d’une substance toxique (deltaméthrine) à l’encontre du moucheron, ils possèdent une zone d’action relativement concentrée autour du cou ; or ce sont justement les endroits choisis le plus fréquemment par les phlébotomes pour piquer. Principal inconvénient, les chiens actifs, tels nos auxiliaires cynégétiques, peuvent en broussaillant accrocher ce collier dans une branche et le perdre. Signalons enfin que bien souvent le répulsif s’avère rapidement inactivé par l’eau. Tout efficient soit-il, cet antiparasitaire, lorsqu’il est porté par nos chiens de chasse, nécessite donc une vigilance particulière, ainsi qu’un renouvellement plus fréquent que celui d’ordinaire conseillé. Dernier outil préventif, la pipette dont le contenu est simplement déposé sur le dos du chien avant de se répartir par simple migration sur l’ensemble du corps. Petit bémol, la protection n’est pas immédiate, la diffusion complète nécessitant environ 24 heures. La longévité des effets répulsifs annoncée par les fabricants (de l’ordre de 1 à 3 semaines selon les marques) impose des applications régulières. Nombre de laboratoires proposent désormais ces pipettes ou ces colliers, mais gare à certaines spécialités commerciales à l’efficacité plus ou moins douteuse… Afin de protéger au mieux votre compagnon, n’hésitez pas à vous munir d’un produit de qualité, votre praticien vétérinaire restant le meilleur conseiller et prescripteur qui soit.
Transmission de la leishmaniose canine
Outre la piqûre de deux chiens par un même phlébotome, cas que nous avons évoqué, il existe trois autres modes de transmission de la leishmaniose d’un sujet à l’autre : la voie vénérienne lors d’une saillie entre un individu et un chien parasité, la contamination des fœtus par une femelle gestante, ou encore la transfusion.
Et l’homme dans tout ça ?
L’espèce parasitaire rencontrée en France, Leishmania infantum, peut être transmise à l’homme. Tout comme pour le chien, la contamination intervient par la piqûre d’un phlébotome porteur du parasite. Deux formes de leishmaniose humaine existent : la leishmaniose cutanée qui peut guérir spontanément et la leishmaniose viscérale (Kala-Azar indien), primitive ou secondaire à une cutanée. Beaucoup plus grave, car pouvant être mortelle, la leishmaniose viscérale ne se développe toutefois que sur les sujets aux défenses immunitaires très amoindries. Du fait de conditions sanitaires satisfaisantes, les cas restent donc sporadiques en Europe. Sachez enfin qu’en aucun cas cette zoonose ne peut être transmise à l’homme par simple contact avec un chien infecté.
Christophe AUBIN