La Leptospirose

Maladie redoutable d’origine bactérienne, la leptospirose du chien semble, à la fois en recrudescence, et se présenter désormais sous des formes atypiques. Plus que jamais la vigilance est donc de mise, d’autant que, ne l’oublions pas, le mal est transmissible à l’homme.

Sous sa forme classique, la leptospirose est due à la multiplication dans le sang, et les tissus, d’une bactérie du genre Leptospira, qui, peu à peu finit par attaquer de nombreux organes. On rencontre ces leptospires le plus souvent dans un environnement aquatique stagnant, ce qui explique que le risque soit nettement plus important en milieu rural qu’en zone urbaine. Les rongeurs, et plus particulièrement le rat, le rat musqué, et le ragondin, constituent le réservoir principal de cette bactérie. Toutefois, on n’exclut pas que le hérisson ou encore les petits mustélidés tels la fouine, la moufette et le furet, pour ne citer que ceux-ci, soient eux aussi de potentiels vecteurs de transmission des leptospires. Ces rongeurs sont des porteurs rénaux asymptomatiques, c’est-à-dire sains, qui permettent le développement des germes dans leur organisme, avant de les rejeter par leurs urines dans l’environnement. Ceux-ci représentent ainsi un danger de contamination pour les autres animaux fréquentant la zone aquatique infectée. A l’occasion d’un rapport à l’eau, d’une baignade ou en buvant simplement dans une mare ou une flaque, le chien peut être contaminé soit par voie orale, soit par voie cutanée par l’intermédiaire d’une blessure non cicatrisée. Plus rare, le contact direct par la morsure d’un rongeur est de la même façon une autre cause de transmission. Les bactéries traversent alors les muqueuses ou les plaies, avant d’atteindre le flux sanguin où elles se multiplient. Après une incubation d’environ une semaine, celles-ci se disséminent dans l’organisme et touchent au final de nombreux organes dont principalement le foie, la rate et les reins. Ceci explique sans doute les différentes formes revêtues par la maladie, ainsi que le nombre de symptômes observés. Cliniquement, la forme classique la plus répandue dans l’Hexagone, dite ictéro-hémorragique, se traduit par une gastro-entérite hémorragique associée fréquemment à une jaunisse. La maladie se caractérise par des vomissements sanguinolents, des diarrhées noires, souvent accompagnés d’un jaunissement des muqueuses buccales et de l’iris. Dans plus de 80% des cas, l’évolution se fait vers une insuffisance rénale aigüe pouvant conduire de façon extrême vers une anurie (absence d’émission d’urine). Le chien contaminé est alors en danger de mort. D’où l’importance de repérer les tous premiers signes cliniques. Chez un jeune sujet, une léthargie générale, un manque d’appétit, une poussée de fièvre, une augmentation de la soif sont autant de critères qui doivent soulever une interrogation. Mais, le problème réside dans le fait que ces symptômes ne sont pas spécifiques de la leptospirose, ce qui n’est pas pour faciliter un diagnostic immédiat. Il existe, de fait, deux solutions pour confirmer une suspicion éventuelle de la bactérie. La plus courante reste la sérologie qui permet de mettre en évidence la présence d’anticorps dans le sérum du chien. Cette méthode n’est toutefois pas sans poser plusieurs problèmes. D’une part il existe de nombreuses espèces de leptospires, ce qui multiplie le nombre de tests à réaliser. D’autre part, un résultat positif peut tout simplement être la conséquence d’une vaccination antérieure qui aura entrainé la fabrication d’anticorps. Enfin, le taux de ces anticorps peut mettre plus d’une semaine avant de monter dans le sang, et une sérologie faite dès l’apparition des premiers symptômes peut s’avérer négative sur un sujet pourtant infecté. Plus récemment, une nouvelle méthode, dite PCR, consiste à rechercher l’ADN de la leptospire dans le sang ou les urines de l’individu suspecté. Cette technique permet, certes, une détection plus rapide que la sérologie, mais n’est pas fiable à 100%, dans la mesure où la circulation des bactéries dans le sang et les urines n’est pas constante. Potentiellement létale, ou pouvant engendrer de nombreuses séquelles irréversibles, tant au niveau du foie que des reins, la leptospirose doit être traitée le plus rapidement possible. L’issue de la maladie dépend en effet de la précocité de sa prise en charge, raison pour laquelle nombre de vétérinaires n’hésitent pas, en cas de doute, à mettre place un protocole avant même les résultats des analyses. Il s’agit en général d’une antibiothérapie, de type pénicilline, qui permet l’élimination des leptospires, évitant ainsi une évolution. Néanmoins, le traitement de fond de la maladie semble beaucoup plus compliqué. Si les reins sont déjà atteints, il faudra impérativement injecter des solutés par intraveineuse afin de faire baisser les taux d’urée et de créatinine. Pour les sujets dont la défaillance rénale est légère, ces traitements opèrent parfois de manière efficace. Mais il arrive bien souvent, qu’en cas de déficience rénale plus sévère, le chien n’urine toujours pas malgré les perfusions. Dans ce cas, seule la dialyse peut, en dernier recours, permettre une éventuelle guérison. De récentes études laissent entendre qu’environ un chien sur deux meure des conséquences directes, ou indirectes (les mois suivants), de la leptospirose. Face à ces chiffres plutôt pessimistes, mieux vaut prévenir que guérir… La prophylaxie se veut donc avant tout sanitaire. La première mesure à prendre est bien entendu la destruction systématique des rongeurs aux abords des chenils, en veillant évidemment à ce que les chiens n’aient pas accès aux raticides. De la même façon, la désinfection régulière de ces locaux est indispensable. Il existe pour cela sur le marché des produits antibactériens, mais une solution à base d’eau de Javel (1 pour10) s’avère tout aussi efficace. Reste le problème des sorties sur le terrain, durant lesquelles vos auxiliaires peuvent être naturellement exposés. Les empêcher de boire l’eau d’une mare ou d’une flaque, au cours des chaudes journées de début de saison, n’est qu’utopie. Le vaccin contre la leptospirose, qui fait désormais partie du programme classique de vaccination du chien, se veut donc incontournable. La primo vaccination nécessite une première injection à l’âge de trois mois, suivie d’une seconde quatre semaines plus tard. Les rappels se font ensuite de façon annuelle. Cependant, pour les auxiliaires les plus exposés, notamment les compagnons des sauvaginiers, on ne saurait trop conseiller d’effectuer deux rappels par an. Dans ce cas, il est judicieux d’administrer une dose peu de temps avant l’ouverture, période estivale durant laquelle la bactérie est sans aucun doute la plus présente. Il faut toutefois savoir que ce vaccin, aussi efficace soit-il, n’assure jamais une couverture à 100%. Fabriqué à partir des deux souches icterohaemorrhagiae et canicola, il ne protège pas de manière efficiente contre d’autres leptospires autrefois peu présentes ou jusqu’alors inconnues. Il reste néanmoins, à ce jour, le seul et unique moyen pour diminuer le risque d’attraper les formes les plus graves de la maladie. Enfin sachez que la leptospirose est une zoonose (maladie transmissible à l’homme) qui chaque année touche près de 500.000 personnes de par le monde, et peut s’avérer mortelle. La plupart du temps, les premiers symptômes relevés chez l’humain (forte fièvre, maux de tête, frissons…) ressemblent à un syndrome grippal, et la maladie est de fait souvent mal diagnostiquée. Malheureusement, elle peut rapidement progresser vers des problèmes cliniques similaires à ceux rencontrés chez le chien : jaunisse, troubles hémorragiques, insuffisance rénale, voire plus rarement méningite. Le propriétaire d’un chien porteur devra donc, plus que quiconque, faire preuve de prudence au contact de son animal. L’emploi de gants et de bottes lors du nettoyage du chenil, et surtout un lavage des mains avec un désinfectant puissant, s’avèrent indispensables en cas de suspicion de leptospirose.

L’incidence sur l’homme
Dans les pays industrialisés des zones tempérées, la leptospirose est une maladie qui touche certaines catégories professionnelles particulièrement exposées (éleveurs, pisciculteurs, vétérinaires, égoutiers, employés de stations d’épuration…), ainsi que des adeptes de loisirs en plein air (chasse, pêche, rafting, canyoning…) par contact avec les eaux douces souillées par les urines d’animaux infectés. De 2006 à 2013, entre 185 et 400 cas de leptospirose ont, chaque année, été diagnostiqués chez l’homme en France métropolitaine. L’incidence moyenne s’élève donc à 1 cas pour environ 200.000 habitants. Alors que ces taux sont de 10 à 100 fois plus élevés dans les DOM-TOM. Dans l’Hexagone, la répartition annuelle des cas confirme le caractère saisonnier de la maladie. Ainsi retrouve-t-on de façon récurrente un pic estivo-automnal, avec plus de 50% des cas sur les seuls mois d’août à octobre. Au moindre doute, n’hésitez pas à consulter, en précisant à votre médecin traitant que vous êtes chasseur.

Côté bactériologie
Du grec leptos (fin) et speira (boucle), les leptospires sont des bactéries mobiles de forme hélicoïdale et dotées d’un flagelle. En France métropolitaine, les données épidémiologiques montrent jusqu’alors une prédominance du sérogroupe Leptospira icterohaemorrhagiae qui touche essentiellement le rat et le ragondin. Mais la donne semble changer peu à peu avec l’apparition de nouvelles souches de leptospires. On en dénombre désormais pas moins de 17, et plus de 230 sérovars (sous-espèces), plus ou moins spécifiques à certaines espèces de mammifères, et faisant preuve de différents degrés de dangerosité. Sous des températures supérieures à 25°, dans une eau peu acide et faiblement chargée en sel, ces leptospires ont une durée de vie de plusieurs semaines.

Christophe AUBIN