De nouveaux cas de la maladie d’Aujeszky chez le chien semblent avoir été recensés dans un département jusqu’alors indemne. Que faut-il en conclure ? Savoir reconnaître les symptômes, et prendre les mesures préventives qui s’imposent.

Récemment, notre attention était attirée par plusieurs cas de mortalité canine susceptibles d’être liés au virus de la maladie d’Aujeszky, dans le nord-est du département de l’Indre-et-Loire, mais aussi dans le nord de la France. Susceptibles disons-nous car, à l’heure où nous écrivons ces lignes, une incertitude, aussi faible soit-elle subsiste. Si les résultats de laboratoire ne sont pas encore parvenus au vétérinaire tourangeau ayant examiné les individus suspicieux, les symptômes observés ne laissent cependant guère de doute quant à la nature de la maladie. Plusieurs incidents similaires avaient déjà été signalés, ces dernières années, dans les départements de la Meuse, de l’Aisne, de l’Oise, du Cher et du Loir-et-Cher pour ne citer que ceux.ci. Néanmoins, c’est la toute première fois de que tels événements nous sont rapportés en Indre-et-Loire. Il serait pour autant non fondé de conclure à une recrudescence de la maladie, et à son extension géographique. La maladie d’Aujeszky, aussi foudroyante soit-elle pour nos auxiliaires, ne touchent effectivement qu’un nombre restreint de chiens chaque année. Quant à sa migration territoriale, il est bon de rappeler que la région évoquée n’est séparée du Loir-et-Cher
(département déjà touché) que par la Loire. Or, nul n’ignore le côté nomade et les capacités de nageur du sanglier, vecteur de transmission du virus. Ces nouvelles manifestations, nous ont néanmoins incités à refaire le point sur cette maladie infectieuse, et sur les règles de conduite à adopter lors de nos chasses aux sangliers.
Découverte en 1902 par le docteur vétérinaire hongrois éponyme, la maladie d’Aujeszky, est une maladie infectieuse, virulente et contagieuse due à un herpès-virus dénommé Suid Herpesvirus 1 (SuHV-1), heureusement non transmissible à l’homme. Les hôtes naturels de ce virus sont, comme son nom l’indique, l’ensemble des suidés qu’ils soient domestiques ou sauvages. Si l’infection est susceptible de décimer de nombreux porcelets, elle n’est toutefois que très rarement fatale aux porcs adultes. Ces porteurs sains vont alors disséminer le virus à leurs congénères par voie respiratoire ou génitale. Mais, le cas échéant, ils peuvent aussi être une source d’infection pour des animaux domestiques (chiens, chats, moutons, bovins…) ou sauvages (renards, rats, blaireaux, cerfs…). Ces espèces restent cependant des hôtes accidentels et deviennent des culs-de-sac épidémiologiques, l’infection ne pouvant ensuite être transmise à d’autres sujets. Chez ces animaux, SuHV-1 est à chaque fois responsable d’une encéphalite, inéluctablement mortelle. Largement répandue dans les années 70 dans les élevages porcins, parallèlement à l’intensification de la production et des échanges commerciaux, la maladie d’Aujeszky eût un impact économique considérable sur l’ensemble de la filière. Suite à la mise en place d’importantes campagnes de prophylaxie vaccinale, elle est désormais, chez le porc, éradiquée, ou en cours d’éradication, dans la plupart des pays européens. L’épuisement progressif de ce réservoir domestique s’est naturellement accompagné de l’extinction de la maladie chez les chiens de ferme et de ville pouvant être contaminés par la consommation de viande provenant de porcs infectés. Il n’en demeure pas moins que la maladie d’Aujezsky reste endémique chez les populations de sangliers. Aussi, estime-t-on que près de 30% des suidés sauvages seraient séropositifs. Chiffre difficile à confirmer, dans la mesure où le virus circule parmi les effectifs, avec de fortes disparités d’un département à l’autre. Minime ici, plus important dans le département voisin, le risque de contamination du chien de chasse n’est de toute façon jamais nul.
La période de rut du sanglier, qui s’étale d’ordinaire de novembre à janvier, montre un pic de transmission du virus SuHV-1 par voie vénérienne. Cette période coïncidant avec celle de la chasse, les suidés excréteurs constituent une source de virus potentiel pour les chiens qui les affronteraient ou consommeraient leurs abats infectés. Phénomène d’autant plus vrai quand on sait que, bien souvent, nos limiers ont la fâcheuse tendance à s’acharner sur les parties génitales du gibier abattu. Dans la plupart des cas, le virus s’introduit en effet par voie buccale, mais la contamination peut, plus rarement, s’établir par un contact direct avec le sanglier porteur. Chez le chien, l’incubation est de courte durée (entre 2 et 5 jours) période pendant laquelle le virus se multiplie au niveau du pharynx, des nerfs crâniens, puis de l’encéphale. Les tous premiers symptômes détectables sont des manifestations d’ordre comportemental, telles l’inquiétude ou l’apathie. Puis, survient l’un des signes cliniques majeurs de cette maladie virale, le prurit. L’animal se frotte violemment, et sans arrêt, au point d’entrée du virus : babines, museau, gueule, jusqu’à provoquer une dépilation, puis des plaies. Cette phase d’automutilation, dite prurit démentiel, s’accompagne progressivement d’une hyper-salivation et d’une paralysie du larynx engendrant des difficultés respiratoires. Apparaît alors une ataxie(2) ou une paralysie des membres. La maladie se caractérise surtout par la rapidité de son évolution, puisqu’en général la mort survient dans les 36 à 48 heures suivant l’apparition des premiers symptômes. On notera que ceux-ci sont relativement proches de ceux observés dans le cas d’un chien frappé par la rage, d’où d’ailleurs le nom de « pseudo-rage » qui est lui souvent attribué. En cas de suspicion, il est donc impératif d’établir un diagnostic de laboratoire post-mortem, afin d’écarter cette éventualité. Car, si la maladie d’Aujeszky n’est pas une zoonose, la rage est quant à elle transmissible à l’homme. Aussi, est-il impératif, au moindre doute, de prendre toutes les précautions nécessaires quant à la manipulation du sujet suspicieux.
Côté prophylaxie, autant dire qu’il n’existe rien à ce jour. Aucun traitement ne permet, en effet, de soigner cette maladie dont l’issue est tout aussi fulgurante qu’inéluctable. Pourtant, il est en théorie possible de protéger les chiens de chasse par un protocole vaccinal à virus inactivés. Des essais ont été menés par le passé, conférant aux chiens une immunité jugée suffisante, même si de durée limitée. Mais, aucun de ces vaccins ne dispose à ce jour d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM). Permettre l’utilisation de tels produits reviendrait, en effet, à admettre qu’un risque hypothétique existe dans un pays où la maladie se veut, depuis 2008, éradiquée dans les élevages porcins métropolitains. Pourtant, l’herpès-virus subsiste bel et bien au sein des populations de sangliers, réservoir qui pourrait potentiellement devenir dangereux pour les cochons domestiques de plein air. Et, si les cas de maladie d’Aujeszky canine restent encore isolés, on peut s’interroger sur une augmentation des risques pour les chiens, compte tenu de l’explosion démographique des suidés sauvages, et de la modification de leur habitat. Puissent nos instances cynégétiques faire pression sur les autorités sanitaires afin que, dans un futur proche, nous soyons finalement autorisés à protéger efficacement nos auxiliaires. En attendant, en l’absence de telles mesures, il nous revient de prendre toutes les dispositions nécessaires pour éviter le pire. La principale d’entre elles consiste à proscrire la distribution de viande de sanglier, mais aussi l’abandon des viscères sur le terrain. L’application de cette recommandation, ne suffit cependant pas empêcher la dissémination éventuelle par contact direct lors des situations de ferme. Sans pour autant être d’une garantie absolue, l’utilisation du gilet de protection peut alors être une alternative pour éviter d’hypothétiques morsures, sources possibles de transmission. Enfin, étant donné qu’il n’existe aucun moyen de combattre la maladie chez l’espèce sanglier, il semblerait sage de limiter les rassemblements d’animaux (agrainage), et de réduire de façon conséquente les populations. Vaste de débat, quand on sait qu’en France, les effectifs de suidés sauvages ne cessent de croître, tandis que ceux des chasseurs s’effritent chaque année un peu plus.
Interdit, et pourtant…
En Belgique, un vaccin sous-unitaire, le Geskypur® (laboratoire Merial) a fait l’objet, voici plusieurs années, d’un essai visant à évaluer sa sécurité et son efficacité à prévenir la maladie d’Aujeszky chez le chien. Ce vaccin, préparé à partir de SuHV-1 inactivé et destiné à l’origine à protéger le porc, fut injecté à raison de 2 doses d’1ml, espacées de 21 jours. 24 des 26 sujets vaccinés, soit 92% de l’échantillon, ont été protégés de la maladie, lorsqu’ils furent infectés par une souche virulente d’origine porcine. Tandis que tous les individus non vaccinés du groupe de contrôle moururent dans les 5 à 10 jours suivant l’infection. A noter par ailleurs, qu’aucun des chiens vaccinés ne présenta le moindre symptôme de la maladie, pas plus que d’effets secondaires. Suite à ces résultats, lors de son assemblée générale de 2009, l’ANCGG s’interrogea, à juste titre, sur les possibilités d’une prophylaxie vaccinale du chien, encadrée par les services vétérinaires. Mais, force est de constater que, six ans plus tard, la situation n’a aucunement évolué. Le Geskypur®, tous comme ses produits concurrents, ne disposent toujours pas, en France, de la « sacro-sainte » AMM.
Christophe AUBIN